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L’Ayurvéda au service de l’herboristerie occidentale

L’Ayurvéda au service de l’herboristerie occidentale

L’herboristerie contemporaine incorpore à la fois la science phytothérapeutique moderne et les traditions, autrement dit le savoir accumulé qui découle de la science empirique. Le savoir empirique s’est constitué en cumulant les observations de plusieurs générations d’herboristes et autres usagers des plantes médicinales, affinant leurs apprentissages au fil des siècles et des millénaires. L’ayurvéda, médecine traditionnelle de l’Inde, fait généreusement appel aux plantes médicinales pour soigner les bénéficiaires et contribuer à rétablir leur équilibre.

 

La discipline ayurvédique appelée dravyaguna rasa shastra étudie les propriétés des plantes. Cette expression en sanskrit signifie littéralement : « l’étude des qualités et de l’essence des substances ». La phytothérapie ayurvédique puise dans un bassin de près de 10 000 plantes médicinales répertoriées dans le sous-continent indien. De ce nombre, 1200 à 1500 ont été incorporées dans la pharmacopée ayurvédique standard, documentée sur une période de plus de 3000 ans. On estime que 250 et 500 d’entre elles sont plus couramment utilisées en pratique, individuellement ou combinées dans l’une des 600 formules phytothérapeutiques communes à la pharmacopée ayurvédique conventionnelle.

 

 

Sept paramètres pour évaluer les propriétés thérapeutiques

 

Les bases théoriques de la phytothérapie ayurvédique sont les sept padhartas, sept paramètres d’après lesquels on évalue les propriétés de toutes substances, afin de définir sa nature et ses effets.

 

1-     Dravya : identité, nom de la substance

2-     Rasa : saveurs ou essence

3-     Guna : propriétés ou qualités attribuée à la substance

4-     Vipaka : effet post-digestif

5-     Virya : potentiel, accélération ou ralentissement du métabolisme

6-     Karma : action, effet thérapeutique, propriétés médicinales

7-     Prabhava : propriété imprédictible ou capacité exceptionnelle

 

 

La biologie des plantes selon l’ayurvéda

 

L’ayurvéda considère que les plantes, tout comme les animaux et les humains, sont composées de sept familles de tissus, les sapta dhatus. Les cinq éléments et les trois doshas (les principes du mouvement, de la transformation et de la préservation) se retrouvent également dans le monde végétal. Selon les observations de Vasant Lad dans son ouvrage Textbook of Ayurveda (vol. 3, p. 331), voici quelques corrélations que l’on pourrait établir :

 

Sept tissus - sapta dhatus

 

1-     Plasma (rasa) : nutriments du sol

2-     Sang (rakta) : sève

3-     Muscles, chair (mamsa) : écorce

4-     Gras (meda) : résine, gomme

5-     Os (asthi) : tronc, branches

6-     Moelle (majja) : bourgeons

7-     Système reproducteur (shukra) : fleur, fruit et graine

 

 

Cinq éléments - pancha mahabhuta

 

1-     Espace : dimension où existent les cellules, interconnexions entre elles

2-     Air : feuilles, affinité avec système respiratoire et digestif

3-     Feu : fleurs et fruits, affinité avec système reproducteur

4-     Eau : tubules, tiges, sève et jus, affinité avec les systèmes sanguin et lymphatique

5-     Terre : bois, racines, affinité système digestif, bas du corps

 

 

Aspects des plantes liés au principe du mouvement (vata) : mobilité des parties, faible contenu en eau, aspects rigides, rugueux, formes et « patterns » complexes, erratiques et chaotiques, parties étroites, effilées ou petites, sensibilité au froid, fragilité.

 

Aspects des plantes liés au principe de la transformation (pitta) : couleurs chatoyantes, formes régulières et harmonieuses, souplesse de la structure, molécules chimiquement réactives, présence d’huiles essentielles, mécanismes de défense actifs.

 

Aspects des plantes liés au principe de la transformation (kapha) : parties douces, larges, épaisses, charnues, lourdes, solides et structurées, endurance, rusticité, formes monotones et peu définies, aspects aqueux, onctueux, contenu en eau élevé.

 

 

 

 

Préparation et modes d’utilisation des plantes - kalpana

 

Lorsqu’il s’agit de choisir les remèdes adéquats en ayurvéda, plusieurs considérations entrent en jeu : la disponibilité des matériaux, la capacité au bénéficiaire à suivre les recommandations, la nature intrinsèque (prakriti) et l’état général (vikriti) du bénéficiaire, l’environnement et les conditions météorologiques et ainsi de suite. L’ayurvéda utilise différents types de préparations et différents modes d’utilisation des substances médicinales en fonction des effets désirés. Certaines méthodes passent par l’ingestion de substances, d’autres exploitent la digestion sous-cutanée et d’autres encore utilisent les capillaires nasaux pour mieux cibler l’O.R.L., la tête et/ou le cerveau (huiles nasales, poudres à priser, aromathérapie et fumigations).

 

Poudres - churna : En phytothérapie ayurvédique moderne, les plantes sont fréquemment séchées et pulvérisées en poudre pour des raisons de commodité, faute d’avoir accès à des remèdes fraîchement préparés.

 

Tablettes et comprimés - vati et gutika : Appelés vati, gutika ou encore gulika, les poudres médicinales ont été agglomérées en comprimés pour faciliter leur ingestion. Ces remèdes sont préparés à partir de fines poudres de plantes et parfois aussi de cendres minérales, de camphre ou d’encens. D’autres comprimés sont fabriqués à partir de sucre ou de myrrhe (voir ci-dessous).

 

Comprimés de myrrhe - guggul : Toute une gamme de formules et de remèdes est fabriquée en faisant fondre la myrrhe indienne, Commiphora guggul, une substance résineuse où l’on incorpore les plantes voulues avant que la substance ne refroidisse et se solidifie.

 

Jus - svarasa : Lorsque faire se peut, une manière idéale de consommer les plantes médicinales, consiste à presser puis à filtrer les plantes fraîches riches en eau, pour extraire leur jus à des fins thérapeutiques. La dose moyenne recommandée en ayurvéda pour les jus est de 30 ml.

 

Pâtes et cataplasmes - kalka et lepa : L’ayurvéda prépare les pâtes simplement en ajoutant un peu d’eau et/ou d’huile à une poudre médicinale. Ces pâtes sont ingérées comme telles ou diluées dans l’eau chaude (kalka) ou alors employées à l’externe, sous forme de cataplasme (lepa).

 

Décoctions - kvatha : En ayurvéda, la recette standard pour une décoction consiste à ajouter 16 parts d’eau à chaque part de substance, puis de réduire le volume d’eau par ébullition jusqu’à 1/8 (2 parts). Le dosage normal recommandé est de 15 ml de décoction, allongé avec 45 ml d’eau supplémentaire, pour un total de 60 ml, deux fois par jour, idéalement à jeun.

 

 

 

 

Infusions froides - hima : Pour obtenir une infusion froide, on recommande en ayurvéda de mélanger une part de substance médicinale à six parts d’eau. On laisse reposer plusieurs heures à température ambiante, idéalement, toute une nuit. Le dosage moyen recommandé en ayurvéda est de 60 mL du liquide obtenu, après l’avoir filtré, deux fois par jour.

 

Infusions - phanta : Une infusion ayurvédique standard utilise une part de plantes séchées ou alors de plantes fraîches (s’il s’agit de fines herbes et de plantes fragiles et aromatiques) à laquelle on ajoute quatre parts d’eau bouillante, avant de laisser le tout infuser de 5 à 10 minutes. Il est généralement conseillé de boire une tasse, 2 à 3 fois par jour.

 

Corps gras - sneha kalpana : Les huiles médicinales sont préparées en ajoutant le corps gras à une décoction avant d’évaporer l’eau par ébullition. Les huiles extraient plus efficacement certains constituants actifs qui s’y dissolvent mieux que dans un milieu aqueux. En ayurvéda, la proportion de base utilisée est de 4 parts de corps gras et 16 parts de décoction pour 1 part de substance médicinale. Le tout est ensuite bouilli à feu doux ou moyen, jusqu’à ce que toute l’eau soit bien évaporée. Selon la force du feu et la quantité produite, cela peut prendre de quelques heures à plusieurs jours, mais il est préférable de prolonger cette procédure pendant 2 ou 3 jours.

 

Préparations alcooliques naturellement fermentées - sandhana kalpana : En ayurvéda, on fabrique des préparations alcooliques à partir des plantes médicinales elles-mêmes, selon des formules comprenant plusieurs plantes médicinales rassemblées au bénéfice d’une thématique commune, pour tonifier le système nerveux ou les fonctions sexuelles, par exemple. On obtient ainsi des « vins médicinaux », les aristas et les ashavas. Les aristas sont des décoctions de plantes fermentées alors que les ashavas sont directement fermentés, sans faire bouillir les plantes en décoction au préalable. Pour démarrer la fermentation, on utilise un sucre ainsi que les graines de Woodfoadia fruticosa. Après environ un mois, une concentration de 9 à 12 % d’alcool est obtenue, puis la préparation est filtrée et conservée en bouteille. On recommande des dosages de 15 à 30 ml, deux fois par jour, après les repas.

 

Avaleha ou lehya : préparations semi-solides : En Inde, on fabrique de riches pâtes médicinales de la consistance d’une confiture appelées lehya ou avaleha « qui doit être léché pour être effectif » alors que le terme lehya désigne une confiture. La plus répandue est sans conteste la formule Chyawanprash, un tonique immunitaire. Pour les fabriquer, on utilise par défaut les proportions suivantes : deux parts de sucre de canne pour chaque part de solides, ainsi que quatre parts de liquide (eau, lait ou décoction). Le liquide et le sucre sont bouillis à feu doux, jusqu’à ce que la consistance devienne collante. Le mélange est retiré du feu et les substances médicinales réduites en fine poudre sont ensuite incorporées, en remuant pour obtenir une pâte homogène. Du miel ou un corps gras sont parfois ajoutés par la suite. On en consomme généralement 15 à 30 ml par jour, de préférence le matin.

 

Arka : distillations de substances médicinales : Avant la conception de distillateurs modernes, les huiles essentielles étaient tout de même récoltées de diverses manières, souvent à partir de substances broyées, trempées une nuit, puis bouillies le lendemain. La vapeur produite au départ et à la fin du processus est écartée, car sa concentration en huiles essentielles est faible. Le reste de la vapeur est condensée, puis l’huile essentielle qui flotte sur l’hydrolat est recueillie.

 

Bhasma : cendres : Les cendres médicinales sont fabriquées à partir d’une variété d’ingrédients : plantes, minéraux, pierres précieuses et autres, dont certains sont toxiques lorsqu’ingérés comme tels. Ces substances sont « purifiées » par diverses procédures élaborées, impliquant des transformations chimiques. Les ingrédients sont broyés jusqu’à huit heures d’affilée par jour, puis sont placés dans des vaisseaux de terre cuite que l’on scelle avec de la boue. Le contenant de terre cuite est ensuite soumis au feu pendant toute une nuit et ce processus est répété jusqu’à 101 jours d’affilée, transformant totalement la chimie des substances médicinales. Attention : il est impératif de se procurer des cendres médicinales produites à la main par des compagnies qui respectent chaque détail de la fabrication traditionnelle pour éviter les possibilités d’intoxication aux métaux lourds.

 

 

 

Anupanas : adjuvants

 

Un anupana désigne une substance que l’on consomme pour accompagner un remède interne et qui sert de catalyseur, d’adjuvant pour faciliter la prise et l’efficacité de la médecine. Anu signifie « être avec », « proche ». Selon l’ayurvéda, chaque anupana, miel, lait, myrrhe ou autre, présente des affinités spécifiques à certaines fonctions ou certains tissus du corps, permettant de diriger les substances médicinales et leurs effets. Voici comment les anupanas affectent l’effet de la formule triphala, un célèbre trio incluant Emblica officinalis, Terminalia chebula et Terminalia bellirica :

 

-  Combiné à l’eau chaude : soigne davantage la constipation

-  Combiné à l’aloès : pour mieux soigner les problèmes de peau

-  Combiné au lait : pour diminuer l’acidité gastrique et/ou soigner le duodénum

-  Combiné au miel : pour diminuer les excès de mucus à la gorge et aux poumons

-  Combiné au guggul : pour cibler les soins aux yeux

 

 

 

 

Formules médicinales ayurvédiques 

 

Les mélanges de plantes ayurvédiques sont issus d’une réflexion complexe, fondée sur un ensemble de paramètres, comme les propriétés des substances ainsi que l’intention thérapeutique en fonction de diverses situations et divers états de santé. Les proportions des recettes font généralement référence au poids et l’on assume aussi qu’il est question de plantes séchées. La composition des formules ayurvédiques n’est ni fortuite ni magique; elle découle d’une connaissance approfondie des plantes médicinales et des arts thérapeutiques. Nous pouvons détailler cinq paramètres en fonction desquels sont choisies les plantes médicinales qui feront partie d’une formule donnée. Ces formules et recettes sont bien sûr conçues pour répondre à des besoins et des doshas précis, parfois variés : gaz intestinaux, faiblesse immunitaire et autres.

Cinq paramètres pour concevoir une recette ayurvédique pour la préparation d’un produit :

 

A-    Constituer le fer de lance de l’intention thérapeutique principale (Élément Terre)

B-    Soutenir et compléter l’action principale (Élément Eau)

C-    Faciliter l’assimilation et la métabolisation du remède (Élément Feu)

D-    Catalyser et diriger l’effet thérapeutique du remède (Élément Air)

E-    Équilibrer le mélange pour ménager les trois doshas (Élément Espace)

 

 

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L'ayurvéda au service de l'herboristerie


Article Rédigé par :

Jonathan L.Raymond, Thérapeute Ayurvédique et Hta
Pour plus d'informations voici son Site web !

Formation : www.ayurvedarevolution.ca/formations-specialisees/herboristerie

 

 

Sources :

 

Khalsa, K. P. S. et M. Tierra. The Way of Ayurvedic Herbs. Twin Lake: Lotus press, 2008. 372 p. ISBN 9780940985988.

 

Nadkarni, A. K. Indian Materia Medica. Mumbai: Popular Prakashan, 1996. 2 vol. ISBN 9788171541423.

 

Pandey, G. Dravyaguna vijnana. Varanasi: Chowkhamba Krishnadas Academy, 2004. 3 vol. ISBN 8121800889.

 

Sarngadhara, trad. K. R. Murthy. Srikantha, Sarngadhara Samhita, Varanasi : Chowkhamba Orientalia, 2012. ISBN 9788176371063.

 

Smith, A. Dravyaguna pour les Occidentaux. 2e éd. [S.l.] : CreateSpace, 2013. 374 p. ISBN 9781494253929.