Fiche aromatique, le Sapin baumier (Abies balsamea)
Le sapin baumier est un conifère de résistance, de force, de droiture, mais aussi un rassembleur universel, portant la joie et s’illuminant au solstice d’hiver. Populaire dans nos forêts québécoises, le sapin baumier se distingue par ses aiguilles vertes, plates, légèrement arrondies et son odeur résineuse. Abies comprend 33 espèces, dont 9 américaines, et son nom générique signifie « qui vit longtemps », c’est-à-dire jusqu’à 150 ans. Notre sapin baumier est le plus vigoureux et septentrional de tous les sapins du monde, atteignant l’Ungava. Il y a de quoi être fier de notre sapin; il n’est pas « beaumier » pour rien !
Un brin d’histoire
Dès la fin des années 1600, inspirés des peuples amérindiens, des explorateurs de la Baie d’Hudson rapportent que les bourgeons de sapin étaient bouillis pour obtenir une bière très saine, qui procure force et vigueur à ceux qui étaient auparavant pâles, faibles et malades.
Ainsi, dans la tradition amérindienne, on fait des décoctions de branches et d’aiguilles et on recueille la gomme blanche qui se forme sur l’écorce, nommée pikieu chez les Algonquiens, vraisemblablement à l’origine du terme picieu qui décrit le petit vase en fer blanc muni d’un bec pour recueillir la résine du sapin baumier. Cette dernière, connue sous le nom de baume du Canada ou baume de Gilead en Europe. Dans les années 1858, 200 à 300 gallons étaient récoltés dans la région de Baie-Saint-Paul et exportés sous le nom de « térébenthine du sapin » alors que son nom vulgaire est « gomme de sapin ».
Plus récemment, en 1923, paraît l’ouvrage des Sœurs de Charité de l’Asile de la Providence qui raconte que le sapin baumier fournit la gomme et l’écorce qui « sont employées comme stimulant dans les affections des voies urinaires, dans l’inflammation de la vessie, dans les catarrhes, etc. Les jeunes branches de sapin sont employées par les gens de la campagne, comme tisane apéritive, dépurative, rafraîchissante et tonique ». De plus, les bourgeons « s’emploient en infusion dans les mêmes cas que le goudron. Ils doivent leurs propriétés excitantes à la térébenthine qu’ils contiennent dans leurs écailles. On les emploie aussi dans les affections chlorotiques, scorbutiques et rhumatismales ».
Et son huile essentielle ?
L’huile essentielle de sapin baumier s’extrait par entraînement à la vapeur d’eau de ses rameaux et aiguilles et peut contenir jusqu’à 95 % de monoterpènes. Cette famille biochimique est la plus présente dans les essences de conifères et possède des molécules ayant une action sur le système pulmonaire par ses propriétés mucolytique, expectorante, oxygénante respiratoire, antispasmodique bronchique, antitussive et expectorante. Dans cette même famille, l’alpha-pinène agit comme tonique des surrénales, mais aussi comme tonique et décongestionnant du système lymphatique. Sa seconde famille d’importance est celle des esters avec la présence d’acétate de bornyle qui agit comme puissant anti-inflammatoire et relaxant du système respiratoire et du système nerveux. De plus, une étude chinoise parue en 2018 démontre les effets bénéfiques de l’acétate de bornyle sur le microbiote intestinal; cet acétate agit en rééquilibrant la composition de la flore intestinale et ayant ainsi un impact positif sur la santé mentale.
Selon l’auteur Kurt Schnaubelt, les essences de conifères possèdent une action équilibrante due à l’action stimulante des monoterpènes combinée à l’action calmante des esters. Il suggère que la majorité des conifères, dont fait partie le sapin baumier, possèdent une action mimétique hormonale (cortisol mimétique) permettant un effet tonique et régulateur sur le système endocrinien dont font partie la pituitaire, la thyroïde, les surrénales et les ovaires.
Tableau synthèse de la composition de l’huile essentielle du sapin baumier
|
Famille biochimique |
Nom de la molécule (pourcentage) |
|
Monoterpènes |
Bêta-pinène (25 à 35 %) |
|
|
Delta-3-carène (8 à 20 %) |
|
|
Alpha-pinène (14 à 25 %) |
|
|
Limonène (7 %) |
|
|
Camphène (5 %) |
|
Esters |
Acétate de bornyle (5 à 9 %) |
|
Monoterpénols |
Alpha-terpinéol (0,1 à 1 %) |
|
Cétones |
Pipéritone (0,1 à 1,2 %) |
|
Phénols |
Thymol (0,3 %) |
|
Sesquiterpènes |
Caryophyllène |
|
|
Longifolène |
|
|
Béta-bisabolène |
Selon des analyses du laboratoire Phytochemia, l’huile essentielle de sapin baumier peut être divisée en deux groupes, soit deux chémotypes différents. Le premier groupe est riche en delta-3-carène et le second n’en contient qu’un petit pourcentage. Une autre division a aussi été remarquée pour le thymol, avec quelques échantillons en présentant près de 3 %, mais la majorité des huiles de sapins étudiées n’en contenaient qu’un petit pourcentage.
Le laboratoire d’analyse québécois indique aussi qu’une distillation printanière de jeunes pousses d’aiguilles de sapin en augmente le pourcentage d’acétate de bornyle de 6 % à 13 %, de la pipéritone de 0,1 à 1 % et du camphène de 4 à 10 % et réduit le bêta-pinène qui passe de 40 % à 12 %. Ainsi, une distillation printanière serait plus intéressante pour les personnes souffrant d’inflammations chroniques des voies respiratoires et d’une dysbiose intestinale alors qu’une distillation faite plus tard en saison serait plus appropriée pour un effet décongestionnant, expectorant pulmonaire et tonique glandulaire. Il devient intéressant de voir que l’efficacité souhaitée et spécifique d’une huile essentielle varie selon la période de la distillation du végétal. Bien que le Québec ne produise que le sapin baumier, plusieurs « sapins » existent en aromathérapie et leur composition diffère tout autant !
Composition des composés majoritaires de différentes huiles essentielles de sapins.
|
Nom latin |
Nom français |
Partie distillée |
Acétate de bornyle |
Monoterpènes |
|
Abies pectinata/alba |
Sapin blanc ou argenté |
aiguilles |
5 à 10 % |
90 à 95 % |
|
Abies pseudotsuga |
Sapin douglas |
aiguilles |
7 % |
80 % |
|
Abies balsamea |
Sapin baumier |
aiguilles |
10 à 25 % |
75 à 90 % |
|
Abies balsamea |
Sapin baumier |
écorce |
ND |
85 % |
|
Abies grandis |
Sapin géant |
aiguilles |
16 à 20 % |
60 à 66 % |
|
Abies sibirica |
Sapin de Sibérie |
aiguilles |
27 à 50 % |
33 à 65 % |
Des études prometteuses
Au début des années 2000, deux sommités scientifiques, le Dr Vladimir Smirnoff, chercheur émérite et membre de la Société royale des sciences du Canada et le Dr Marc Quévillon, rattaché à l’Institut Armand Frappier, ont démontré que les essences aromatiques de conifères, particulièrement le sapin baumier, sont de véritables bactéricides naturels puissants. Cette étude, publiée alors dans le journal Le Devoir, conclut que la diffusion d’essence aromatique de sapin baumier permettrait d’exterminer en grande partie les bactéries (y compris le Bacille de Koch, pathogène de la tuberculose) et moisissures qui prolifèrent dans les édifices tels que nos maisons, nos écoles, nos garderies et notre lieu de travail.
De leur côté, des essais réalisés au laboratoire d’analyse et de séparation des essences végétales LASEVE à l’Université du Québec à Chicoutimi démontrent que la gomme de sapin serait particulièrement efficace pour combattre les bactéries agressives que sont le E. coli et le S. aureus présentes dans les lieux publics tels les hôpitaux et les milieux communautaires. Plus récemment, les chercheurs ont aussi démontré son efficacité contre les SARM (Staphylococcus aureus résistant à la méthylciline).
En 2011, ce même laboratoire a étudié un composé de l’huile essentielle de sapin baumier, l’alpha-humulène, ayant une action sur diverses lignées de cellules cancéreuses humaines (cancer du sein, de l’ovaire, de la prostate, du poumon, du colon et de la peau) avec une action oxydante ciblant seulement les cellules malignes sans s’attaquer aux cellules saines.
Résumé des propriétés du sapin baumier par système corporel
|
Système immunitaire |
Antibactérien, antiseptique, immunostimulant, in vitro; cytotoxique.
|
Infection aux pathogènes E. coli, S. aureus, SARM, Bacille de Koch, cancers. |
|
Système glandulaire |
Cortisone-mimétique, équilibrant des glandes : pituitaire, ovaires, thyroïde, prostate, surrénales. Tonique et stimulant. |
Asthénie physique et mentale, convalescence, difficulté de concentration, hypertrophie bénigne de la prostate, hypotension, hypo/hyperthyroïdie |
|
Système pulmonaire |
Décongestionnant bronchique/balsamique, mucolytique/expectorant, antitussif, renforcit le système respiratoire. |
Sécrétions purulentes ORL/pulmonaires, bronchites, rhinites, sinusites, rhumes, toux. |
|
Système digestif |
Antispasmodique intestinal, insecticide, parasiticide, régulateur du microbiote. |
Colites, colopathies fonctionnelles, aérophagie, mucus dans les selles, dysbiose intestinale. Ascaridose, répulsif des moustiques et des mouches à fruit |
|
Système musculo-squelettique |
Analgésique, antispasmodique, antiarthrosique. |
Crampes musculaires, arthrite, arthrose, fibromyalgie. |
|
Système nerveux |
Tonique et équilibrant, augmente les endorphines. |
Stress, anxiété, dépression. |
|
Systèmes circulatoires et lymphatiques |
Tonique circulatoire, tonique lymphatique |
Extrémités froides. œdème. |
|
Système urinaire |
Diurétique, antiseptique, antibactérien. Léger antilithique. |
Cystites, urétrite, néphrite, prostatite, calculs rénaux. |
|
Système gynécologique |
Mucolytique |
Leucorrhée et hypersécrétion de mucus vaginal. |
Modes d’utilisation
Idéale pour commencer la saison froide, la diffusion est l’une des méthodes les plus intéressantes pour bénéficier des propriétés énergisantes, stimulantes immunitaires, décongestionnantes pulmonaires et antiseptiques du sapin baumier. Sécuritaire pour toute la famille, l’huile essentielle sera diffusée pure ou diluée dans un brumisateur, à raison d’une quinzaine de gouttes dans une aire ouverte, 2 à 4 fois par jour.
L’application cutanée sera faite avec de l’huile pure ou diluée, selon la sensibilité de la peau de la personne et de la région d’application, avec un nombre suffisant de gouttes pour couvrir la région désirée. Ainsi, une moyenne de 5 à 10 gouttes seront massées sur la région pulmonaire pour soulager une congestion bronchique, sur les surrénales pour énergiser, localement sur une crampe musculaire, une douleur arthritique ou au bas ventre pour une infection urinaire. Pour les tout-petits, on pourra appliquer et masser une goutte sous chaque pied 1 à 4 fois par jour pour stimuler l’immunité. Pour les enfants un peu plus vieux, 5 à 8 gouttes, diluées dans ¼ à ½ de cuillère à thé d’huile à massage seront massées au haut du dos pour les mêmes raisons thérapeutiques.
Moins prisée par voie orale, l’essence de sapin baumier s’ingère quand même. Avec son goût résineux et balsamique, cette huile essentielle rappelle inévitablement le goût de la gomme de sapin. Sur l’excipient de votre choix, déposer une à deux gouttes d’essence de sapin pour soulager un mal de gorge, réduire la toux et soigner tout autre problème lié au système respiratoire et digestif.
Selon Tisserand, le sapin baumier n’est pas contre-indiqué durant la grossesse. Par mesure de précaution, nous privilégierons sa diffusion et l’application cutanée localisée seulement.
Qu’en dit la Médecine traditionnelle chinoise ?
Selon cette branche de la phytothérapie asiatique, le sapin baumier réchauffe, assèche, tonifie le Qi général et celui des Poumons, renforce le Shen et disperse l’humidité froide. Il est utilisé lors de fatigue, léthargie, difficultés de concentration ou d’écoute, confusion et dépression. De plus, le sapin réchauffe les Poumons, dissipe le Vent froid, expulse le phlegme et diffuse le Qi des Poumons. Il sera utilisé lors de présence de Vent froid dans les Poumons avec symptômes de toux, mal de gorge, courbatures, fatigue et congestion des sinus. Puisqu’il disperse les mucosités froides dans les Poumons, il sera massé ou diffusé lors de congestion bronchique, avec toux grasse et difficultés respiratoires. Finalement, le sapin baumier réchauffe et ouvre les méridiens, dissipe le Vent froid humide et soulage la douleur; il sera massé sur les muscles présentant de la douleur chronique et sur les extrémités froides.
Ses qualités énergétiques
Le sapin baumier dégage la force et la robustesse. Il sera utilisé lors d’états de démotivation avec fatigue, négativité et négligence. Il apporte la confiance en soi et augmente l’estime de soi et nous encourage à la persévérance, surtout lors de périodes de dépression, de perte d’esprit critique, de mauvais jugement ou l’incapacité de garder une vision globale de la situation. Avec la verticalité qu’il porte, il procure l’enracinement tout en permettant l’élévation, permettant alors la clarté d’esprit.
Et son hydrolat ?
Contenant aussi des monoterpènes, mais en moins grande quantité, l’hydrolat de sapin baumier se distingue par une plus grande quantité de monoterpénols que l’huile essentielle ainsi qu’un pourcentage d’alpha-terpinéol près du 40 % et l’ajout de bornéol à environ 6 %. Un intérêt particulier est mis sur la présence de maltol à 15 % (le sapin baumier est le premier conifère dans lequel cette molécule a été détectée). Le maltol se retrouve également dans l’écorce de mélèze et dans le malt rôti et est utilisé pour rehausser certaines saveurs avec son goût de barbe à papa et de caramel. Toutefois peu olfactif dans l’hydrolat de sapin, ce dernier sera utilisé par voie interne pour soigner les bronchites chroniques, décongestionner les voies respiratoires, soigner les infections ORL à répétition et la toux chronique, à raison de 15 ml dans un verre d’eau, 2 fois par jour (dosage adulte). Ses utilisations en vaporisation ambiante, en inhalation avec vapeurs chaudes et en cosmétologie sont aussi rapportées.
Contre-indications à retenir
L’huile essentielle de sapin baumier est très sécuritaire pour tous. Contenant peu de limonène, elle présente un risque de dermocausticité très léger, mais qui peut devenir plus important avec une huile oxydée. Par mesure de précaution, une légère dilution avec une huile végétale peut être faite. Attention, il peut arriver qu’une huile essentielle commerciale de sapin baumier ait été trafiquée avec une autre variété de sapin, de la térébenthine ou des fractions de pinènes. Selon le Botanical Adulterants Program (BAP), les solvants utilisés pour adultérer les huiles essentielles au cours des dernières années ont changé. Par exemple, l’eau peut être utilisée pour diluer les essences aromatiques et sa détection devient un défi. En effet, les essences de la famille des pinacées se lient facilement à l’eau. À la température ambiante, la présence d’eau dans ces huiles essentielles n’est pas facile à détecter. Par contre, sous la barre du 0 °C, l’eau et l’huile essentielle se séparent, rendant l’eau visible à l’œil. Dans certains cas, la quantité d’eau dans l’essence peut atteindre jusqu’à 15 % !
Mon beau sapin, roi des forêts
Tout au long de la saison froide, il garde sa parure. Offrons-lui la vedette et ne nous privons pas, car l’huile essentielle de sapin baumier est l’une des plus produites au Québec et ce, à faible coût. Bonne découverte ou redécouverte !
Bibliographie
ASSELIN, Alain, Jacques CAYOUETTE et Jacques MATHIEU. Curieuses histoires de plantes du Canada, Tomes 1, 2, 3 et 4, Éditions Septentrion.
BATTAGLIA, Salvatore. The Complete Guide to Aromatherapy, Third Edition, Black Pepper Creative Brisbane, 2018, 637 pages.
FAUCON, Michel. Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, Les huiles essentielles, Éditions Sang de la terre, 2017, 989 pages.
FAUCON, Michel. Traité d’aromathérapie scientifique et médicale, Les hydrolats, Éditions Sang de la terre, 2018, 655 pages.
FRANCHOMME, P. et Dr D. PÉNOËL. L’aromathérapie exactement. Encyclopédie de l’utilisation thérapeutique des huiles essentielles, Édition Roger Jollois, Limoges, 1990, 446 pages.
FRÈRE MARIE-VICTORIN. Flore laurentienne, Troisième édition, Les Presses de l’Université de Montréal, 1995, 1093 pages.
HOLMES, Peter. AROMATICA, Clinical Guide to Essential Oil Therapeutics, Volume 1 & 2, Singing Dragon.
LE JEUNE, Rémy. Prévenir les maladies neurodégénératives grâces aux huiles essentielles, Éditions Quintessence, 2020, 316 pages.
TANGUAY, Véronik. Monographie Sapin baumier, Aromathérapie intégrale, niveau 1, Formation par correspondance. Éditée par l’Herbothèque.
TISSERAND, Robert et Rodney YOUNG. Essential Oil Safety, Second Edition, Churchill Livingstone, 2014, 780 pages.
TURBIDE, Michel. L’aromathérapie Huiles essentielles du Québec et du monde. Applications thérapeutiques. Éd. Santé-Arôme, 2012, 404 pages.
https://www.herbalgram.org/resources/herbalgram/issues/116/table-of-contents/hg116-bapnew-eobook/
https://www.tandfonline.com/doi/abs/10.1080/0972060X.2012.10644040
https://phytochemia.com/fr/2017/12/20/profils-dhuiles-le-sapin-baumier/
https://www.pressreader.com/canada/le-journal-de-quebec/20121108/282329677207412
https://www.herbalgram.org/resources/herbalgram/issues/116/table-of-contents/hg116-bapnew-eobook/
https://pubmed.ncbi.nlm.nih.gov/12802719/
https://jardindevie.com/les-essences-aromatiques-nos-alliees-automnales/