Et si on se nourrissait à même la pelouse ?

Les journées sont de plus en plus longues et ensoleillées, les oiseaux semblent se délecter de ce changement et la nature s’épanouit rapidement devant nous. Après un long hiver, tout le monde est heureux de pouvoir profiter de ce beau temps. Le corps semble se réveiller d’une profonde dormance. Tranquillement, il se désankylose d’avoir été trop longtemps emmitouflé sur son canapé. La nature est si bien faite et, sans être trop conscient, l’humain suit le rythme des saisons. C’est pourquoi au printemps, tout semble si verdoyant, attirant et même appétissant.
Le corps est naturellement attiré par cette verdure et ce soleil qui viennent le nourrir après un si long ralentissement. L’hiver, nous nous activons moins, nous sortons moins et les produits offerts sur le marché n’ont pas la même fraîcheur. Peut-être même que vous serez tenté plusieurs fois pendant que vous écoutez la télévision de grignoter des croustilles, des biscuits ou du chocolat. Très rares sont les personnes qui se sentent en pleine forme et qui ne ressentent pas le besoin de mieux manger, voire de démarrer une cure de nettoyage printanière. Eh bien, comme je le disais, la nature est bien faite !
Et si je vous disais qu’une simple visite de votre pelouse pourrait vous apporter ce dont votre corps a besoin pour se sentir plein de vitalité ? Et là je vous vois tranquillement jeter un œil par la fenêtre et vous dire : « c’est beau tout ça, mais je n’ai pas de jardin ! » Avant même d’avoir commencé votre jardin, vous pouvez vous servir à même votre pelouse et vous concocter des salades fraîches, des tisanes froides ou chaudes et même des limonades ! Pourquoi ne pas écouter votre corps et lui donner des aliments frais qui lui procureront des vitamines et des minéraux essentiels, mais aussi une petite purification d’un système au ralenti ?
Hier, j’ai fait le tour de ma pelouse et j’ai choisi quelques pousses fraîches pour me faire une salade magnifique et cela m’a donné envie de vous parler de toutes ces possibilités qui vous entourent. Au printemps, la nature est pleine de ressources plus goûteuses les unes que les autres. Il suffit de baisser les yeux, de s’accroupir dans votre parterre et de cueillir ce qui vous fait envie !
*La salade contient : des pousses d’achillée millefeuille, des fleurs de tussilage, des pousses de pissenlit, des graines de tournesol et un coulis de fraise.
Commençons par une fleur que vous connaissez bien : la marguerite blanche !
La marguerite blanche (Chrysanthemum leucanthemum) est une fleur connue pour son jeu d’effeuillage : « il m’aime, il ne m’aime pas… ». Sachez qu’elle procure bien plus qu’une distraction et amène saveur et originalité sur votre table. Toutes les parties de la marguerite sont comestibles et vous pourrez la cueillir tout au long de la saison. Cependant, comme chez la plupart des plantes, les feuilles sont plus tendres et douces au début de la saison. Elles peuvent être insérées à une salade, un sandwich ou même cuite à une omelette ou une quiche. Les boutons floraux sont savoureux et peuvent remplacer les câpres que vous avez l’habitude de mettre sur vos tartares. Avant la floraison, vous devez cueillir le bouton encore fermé et le macérer dans le vinaigre de cidre de pomme ou autre substance de votre choix pour en faire une marinade digne de ce nom. De plus, les fleurs sont comestibles et si jolies qu’elles peuvent servir de décoration pour différentes pâtisseries.
Si vous souhaitez conserver votre fleur de marguerite, pourquoi ne pas la sécher dans un déshydrateur quelque temps pour pouvoir la consommer comme une tisane en temps voulu ? D’autre part, il est préférable de ne sécher que les pétales blancs, car le capitule sera plus long à sécher et pourrait contenir quelques petites bestioles. En consommant de la tisane de marguerite, vous retrouverez des bienfaits similaires à ceux de la camomille, tels qu’un appel au calme, un tonique de la digestion et une diminution des spasmes et des crampes. En plus, la marguerite est décrite comme diurétique, ce qui veut dire qu’elle augmente la quantité d’urine produite par les reins et favorise l’élimination de l’eau et du sel. Vous pourriez bénéficier d’un léger nettoyage de différents liquides.
Le pissenlit (Taraxacum officinale) est une plante médicinale que vous avez pu observer dans votre parterre et souvent considérer comme nuisible ou inutile. C’est avec plaisir que je vous annonce que le pissenlit est un atout monumental dans votre cour par ces propriétés multiples sur le corps humain, mais aussi pour les abeilles qui le butinent quotidiennement. Alors, de grâce, évitez de tondre la pelouse où il y en a et, si vous souhaitez en cueillir, laissez quelques fleurs pour les insectes qui en ont grandement besoin cette année. En herboristerie, le pissenlit est utilisé depuis longtemps comme remède pour le foie et les reins. Cette plante est reconnue pour être un puissant diurétique, un stimulateur de la bile (cholérétique) et aussi un aide formidable pour l’évacuation de cette bile (cholagogue). Le pissenlit est purifiant pour l’organisme et permet l’élimination des toxines et des déchets organiques. C’est une plante dépurative tout indiquée pour une cure printanière ! C’est surtout la racine, cueillie en automne et parfois au printemps, qui est utilisée dans les préparations formulées par un herboriste ou vendues en magasin. De plus, il est maintenant prouvé que le pissenlit a des vertus antidiabétiques efficaces en plus de diminuer le taux de sucre dans le sang. Cette magnifique fleur jaune est fort utile pour dissoudre les calculs et apporter nutriments et minéraux au corps.
Mais assez parlé de ses propriétés, comment doit-on le consommer ?
Les jeunes pousses de feuilles peuvent être mangées en salade ou comme décoration sur un repas de votre choix. On cueille les feuilles lorsque la tige centrale n’a pas encore pointé le bout de son nez ou plus tard en saison, mais nous les servirons cuites à ce moment. Tout comme la marguerite, vous pouvez préparer une marinade avec les boutons floraux qui ne sont pas encore ouverts ou vous pouvez les faire bouillir. Les fleurs sont aussi comestibles et font une magnifique gelée ou même du vin de pissenlit ! La racine, quant à elle, peut être râpée, crue dans une salade, bouillie ou cuite à la vapeur. Vous pourriez en faire une purée. Elle peut aussi être grillée au four pour être torréfiée et ainsi remplacer votre café !
En tant qu’herboriste, je récolte la racine en automne et la macère dans un alcool de grain pendant plusieurs mois. Une fois prête, je filtre et embouteille le liquide. Cette préparation portera le nom de teinture mère et se conservera pendant plusieurs années. Ensuite, je peux l’utiliser dans différentes formules personnalisées ou la suggérer telle quelle. Il est aussi possible de la faire sécher et de la consommer en tisane par la suite. Pour utilisation immédiate, je cueille les feuilles et les boutons floraux que je rajoute à mes plats. J’adore manger du pissenlit, car je peux en récolter facilement et bénéficier des vitamines et nutriments qu’il contient, comme le calcium, la vitamine A, B2, C, du potassium, du fer ainsi que des antioxydants. De plus, la racine contient des fibres, telles que l’inuline, qui aident la régularisation du transit intestinal !
Le plantain majeur (Plantago major) pousse dans toutes les pelouses et il est facile à identifier, même par les enfants. C’est une des premières plantes médicinales qu’ils apprennent à utiliser lorsqu’ils se font piquer par un insecte. Les enfants, tout comme les adultes, mâchent la feuille qu’ils appliqueront sur la blessure qui grattouille. Le résultat est quasi immédiat et ils s’en donnent à cœur joie à chaque nouveau bobo ! Les feuilles du plantain sont comestibles et rappellent le goût du champignon. Elles peuvent être consommées crues ou cuites comme des épinards tout au long de la saison. Vous pourriez même en faire un magnifique potage ou en rajouter dans votre recette de soupe préférée. La tige va porter les fruits, puis les graines et, lorsqu’elles seront prêtes à être cueillies en automne, pourront être utilisées dans vos salades crues ou dans vos sautés de légumes cuits. Vous pourriez aussi décider d’en faire une farine !
Les graines contiennent des mucilages, une texture de gel qui retiendra l’eau et permettra d’apaiser les intestins irrités. Pour la constipation, vous devez mettre environ une demi-cuillère à thé de graines de plantain dans un grand verre d’eau, vous attendez quelques minutes et ensuite vous buvez le tout. Certains font macérer les graines toutes une nuit dans une plus grosse quantité de liquide pour bénéficier de ces mucilages. D’ailleurs, le psyllium est un laxatif vendu dans les magasins de produits naturels provenant d’une variété de plantain qui pousse plus au sud. Ce sont aussi ces graines que l’on retrouve dans le Métamucil que vous connaissez probablement.
En plus de contenir des mucilages, le plantain nous apporte des vitamines A, C et E, de la chlorophylle, du magnésium, du fer, des fibres et de l’acide linoléique.
En herboristerie, le plantain est utilisé en application externe sur les plaies et les piqûres pour ses propriétés antiseptiques, cicatrisantes et vulnéraires. La teinture mère de plantain est excellente pour les maladies du sang, les affections du système respiratoires, telles que les maux de gorges, grippes, bronchites, pneumonie. J’aime ajouter l’huile de feuilles de plantain dans des suppositoires pour aider à diminuer les douleurs ainsi que les démangeaisons reliées aux hémorroïdes. Cette plante a aussi la capacité de resserrer les tissus du corps humain et d’apaiser les irritations de la peau et du système digestif.
Ma première expérience avec cette herbe a été très instructive. Je voulais faire un macérat de feuilles fraîches de plantain pour pouvoir bénéficier de ses propriétés thérapeutiques dans mes baumes bobos, mes onguents et mes produits divers. J’ai pris mon panier de cueillette et mes ciseaux et je suis allée à la rencontre de celui-ci par une belle journée ensoleillée. Une fois les feuilles cueillies, je suis rentrée pour les hacher grossièrement. Je les ai déposées dans un bocal en vitre et j’y ai versé de l’huile de tournesol. Ensuite, j’ai mis le tout dans un endroit sombre pendant quelques mois. Lorsque j’ai voulu filtrer ma macération, l’odeur de fromage était si puissante que j’ai pensé que j’avais raté ma concoction et j’ai appelé mon enseignante en herboristerie. Elle m’a répondu : « Bravo ! tu as réussi ta préparation ! » J’étais contente, mais tellement surprise à la fois. D’ailleurs, elle m’a expliqué qu’elle avait déjà fait revenir des feuilles de plantain dans une poêle avec de l’huile et que, lors de la dégustation, elle avait constaté son goût fromagé savoureux !
Le tussilage (Tussilago farfara) est souvent confondu avec le pissenlit, pourtant, lorsqu’on les compare, on constate bien leurs différences. Je vous recommande de tenter cette expérience et de prendre le temps de les observer. Le tussilage est la première fleur jaune qui apparaît dès que le soleil montre son bout de nez. Ce qui la rend unique, c’est que cette fleur pousse avant même d’avoir des feuilles ! Cette herbe est entièrement comestible, mais, comme elle contient des alcaloïdes, on suggère de ne pas trop en consommer ou de ne pas en manger régulièrement ou sur une longue période. Par précaution, je recommande aux femmes enceintes ou allaitantes et aux jeunes enfants de ne pas en consommer.
La fleur et la tige peuvent être consommées crues, tandis que les feuilles peuvent être cuites ou gardées crues. Ce qui est intéressant avec le tussilage, c’est que l’on peut le faire sécher et le brûler pour ensuite récolter la cendre qui remplacera le sel de table. Une fois séchées, les feuilles peuvent aussi être fumées avec d’autres herbes pour les crises d’asthme et diminuer la toux. En plus, la racine peut être confite pour être transformée en pastille ou en bonbon pour aider les maux de gorge.
Aujourd’hui, nous utilisons plus fréquemment ses fleurs, surtout pour leurs propriétés antitussives, expectorantes, antibiotiques, antihistaminiques et adoucissantes qui permettent un relâchement des tissus. Ce qui lui confère un atout indispensable pour les affections du système respiratoire, comme la toux, les congestions, l’emphysème et les crises d’asthmes allergiques. Que ce soit en tisane, en teinture mère, en sirop ou même en pastille, le tussilage reste une herbe intéressante pour outiller le corps lors de grippe saisonnière. D’ailleurs, c’est l’un des principaux ingrédients dans mon sirop de plantes médicinales !
L’achillée millefeuille (Achillea millefolium), est identifiable par ses feuilles qui contiennent mille et un divisions et segments très fins. Ce sont surtout les feuilles qui seront cueillies au printemps pour être consommées crues en salades ou cuites. Elles apportent de la saveur à la viande et peuvent être infusées pour en faire une limonade. Les fleurs sont comestibles, mais moins priorisées comme leur goût est très prononcé. Les fleurs et les feuilles sont utilisées dans la fabrication de bière depuis très longtemps. D’autres ouvrages ont aussi mentionné des recettes de vin à base de fleur d’achillée.
L’herboriste en moi utilise énormément l’achillée millefeuille en teinture mère lors de consultation privée en herboristerie pour différentes problématiques reliées au système hormonal féminin. Par exemple, pour contrer les bouffées de chaleur lors de la ménopause ou pour diminuer les saignements abondants lors des menstruations. L’achillée millefeuille peut aussi être utile en cas de fièvre intense ou comme vermifuge. Je cueille les fleurs seulement et je les transforme en teinture mère ou en tisane chaude une fois séchées.
L’hémérocalle fauve (Hemerocallis fulva) est une plante très connue des jardiniers; elle pousse sans trop d’entretien un peu partout maintenant, même en dehors des jardins ! La fleur est jolie en plus d’être comestible, elle peut donc servir de décoration ou bien être farcie pour épater la galerie. Elle peut aussi bien être mangée en salade ou même trempée dans une pâte pour être ensuite frite. Les boutons floraux, tout comme ceux de la marguerite et du pissenlit, peuvent être apprêtés comme des câpres. Les étamines de la fleur peuvent être séchées à part pour ensuite servir d’épice dans différents plats de votre choix. Un peu comme le safran le ferait ! La racine cueillie au printemps ou en automne peut être consommée comme une patate, que ce soit bouillie, frite ou braisée. Vous pourriez même congeler des racines qui ont été blanchies. Au printemps, lorsque les jeunes poussent font leur apparition, vous pouvez les cueillir et les apprêter de différentes façons. Par exemple, vous pourriez les cuire à la vapeur, les faire pocher, les saisir rapidement ou bien les manger crues.
En herboristerie, l’hémérocalle fauve est très peu utilisée, peut-être par manque de connaissance et d’enseignement. Pourtant, la fleur en tisane est une aide précieuse pour contrer la constipation, diminuer les brûlements d’estomac et les ulcères digestifs. C’est une plante qui apporte calme et nutriment. De plus, utilisée dans une huile ou macérée dans la glycérine végétale, elle peut servir dans une préparation régénérante et antiride à appliquer sur la peau. Si vous êtes moindrement habile dans la fabrication de produits cosmétiques, vous pourriez ajouter la macération de fleurs d’hémérocalle dans tous vos produits de soins antiâges !
En terminant, rappelez-vous que les abeilles ont besoin de ces fleurs pour survivre. Pour les aider, vous pourriez planter des herbes comme l’asclépiade ou du trèfle rouge et éviter de tondre votre gazon là où elles poussent. La saison des plantes comestibles est bel et bien commencée et je vous invite à observer votre pelouse. Bientôt, les pousses ne seront plus et de bien grandes feuilles apparaîtront. S’ensuivront les magnifiques fleurs de diverses couleurs qui embelliront le paysage québécois. Les abeilles polliniseront ces sublimes sommités fleuries pour qu’elles se transforment en fruits et puis en graines, qui annonceront tranquillement l’automne et la cueillette des racines. L’hiver viendra et nous retournerons sur nos canapés en attendant que le printemps revienne pour nous délecter de la flore printanière. Alors, ne perdez pas de temps, sortez à la conquête de votre pelouse et revivifiez votre corps. Il vous en remerciera.
Maintenant que vous avez fait un petit tour dans ma pelouse, que contient la vôtre ?

Par Jessie Séguin,
Herboriste, Naturothérapeute, Énergéticienne
Références
FLEURBEC. Plantes sauvages des villes et des champs volume 1, Saint-Henri-De-Lévis, Québec, Fleurbec éditeur, 1978, 288 p.
FLEURBEC. Plantes sauvages au menu, 2e édition, Saint-Henri-De-Lévis, Québec, Fleurbec éditeur, 2005, 191 p.
LAMOUREUX, Gisèle. Flore printanière, Saint-Henri-De-Lévis, Québec, Fleurbec éditeur, 2002, 575 p.
LE GAL Gérald et Ariane PARÉ-LE GAL. Cueillir la forêt, Montréal, Cardinal, 2022, 469 p.
SCHNEIDER, Anny. Je me soigne avec les plantes sauvages, Montréal, Les éditions de l’homme, 2011, 302 p.